Musiciens de jazz et migrants mineurs réunis pour un concert

Publié le 14-11-2018 06:34:47 Modifié le 05-04-2019 16:39:28 Par tmv

Immersion pendant la première répétition d’un concert unique, mêlant musiciens de Jazz à Tours et mineurs migrants accueillis à Amboise. À la baguette, le compositeur Jonas Muel.

Alya, le “ rigolo ” (à droite) et Ibrahima, le “ grand ” passent le message : « Nous sommes tous les mêmes ».

Au milieu des vignes, le silence se rompt. La modeste mairie de Cangey laisse s’échapper des fragments de jazz et des voix graves. Dans le fond de la salle des fêtes attenante, un groupe de musiciens répète.

« Tu es pressée ? On va faire le filage du spectacle », m’indique le décontracté Jonas Muel, compositeur et saxophoniste du groupe Ultra Light Blazer. Installé dans cette commune près d’Amboise, c’est lui qui a eu l’idée du projet : faire slamer des jeunes migrants isolés sur une musique interprétée par les étudiants de Jazz à Tours. « Je connais Cécile Labaronne, présidente de l’association AMMI-Val d’Amboise créée en mars. Elle hébergeait à un moment trois jeunes isolés, moi je me suis dit que je pouvais aider à ma façon en faisant ça et que ça servait à tout le monde », décrit celui qui mêle déjà au sein de son groupe le hip hop et le jazz.

C’est dans la salle municipale de Cangey que sera donné ce mercredi soir le premier concert de restitution.

Au micro, Alya et Ibrahima répètent le refrain : « nous sommes tous les mêmes ». Les jeunes hommes en survêt et baskets scandent avec conviction ce message qu’ils ont écrit contre le racisme. Un peu crispés au départ, ils se détendent au fil des solos de batterie ou de trombone.
Plus habitués à écouter les rappeurs Kaaris ou Nicki Minaj que la chanteuse Etta James, ils découvrent avec plaisir l’univers du jazz. Découvrir des choses. Ils n’arrêtent pas depuis qu’ils sont ici. Thierno, Alya, Ibrahima et Dizzoum, les quatre mineurs d’Afrique de l’Ouest qui participent à ce projet, sont arrivés il y a quelques mois en France. Chacun avec comme bagages un parcours chaotique, une histoire plus ou moins douloureuse et une réelle motivation pour s’améliorer en français et parler de ce qu’ils vivent.

COMMENT ON FAIT POUR DRAGUER ?

« Je trouve qu’il y a beaucoup de racisme, des gens méchants, nous voulons leur dire d’arrêter », explique avec ses mots, le “ grand ” Ibrahima. Scolarisé en 3e, il a commencé à apprendre le français il y a six mois. Sa langue maternelle, le bambara du Mali, ne lui sert guère à communiquer avec les autres jeunes et encore moins avec les filles. 

La séduction, c’est d’ailleurs le thème d’une des chansons qu’ils ont écrites avec le slameur et poète Olivier Campos pendant leurs huit heures d’ateliers d’écritures. « Comment on fait pour draguer ? Il faut commencer par dire bonjour… », débutent les apprentis rappeurs appliqués à la prononciation de chaque mot. « Je les ai entendus discuter à ce propos, ils savent dire les choses directement mais ont la délicatesse et la pudeur de ne pas vouloir froisser la jeune femme à qui ils s’adressent », décrit l’artiste de Cergy-Pontoise, “ spécialisé ” dans ces ateliers d’écritures.
Des adolescents de 15 ans et plus qui ont les mêmes préoccupations que les autres, ou presque. « Ils ont beaucoup de choses à dire, des choses parfois très difficiles, mais ils ont deux choix : en parler et évacuer ou bien oublier pour passer à autre chose », ajoute-t-il.

Une semaine avant le premier concert, c’est l’heure des derniers ajustements à Cangey.

« Le passé, c’est différent. J’ai appris beaucoup de choses nouvelles ici », répond Ibrahima qui a choisi la deuxième option. Après tout, « le but, c’est que tout le monde s’amuse », insiste Jonas Muel. Y compris les musiciens, Florent, Jean-Baptiste, Nicolas, Léo, Magalie, Romain, Rémi, Arielle et Antoine, qui ont rejoint le projet pour ses volets social et musical. Quand Thierno révèle les paroles de sa déclaration d’amour à « la femme française », les sourires fusent dans l’assemblée.
Plus frêle que ses coéquipiers, ce rappeur déroule un texte plein de poésie et de profondeur, ponctué de « j’te love » et de « babey ». Un jeune homme « plein de talent, mais il ne faut pas trop le lui dire », indique Olivier Campos. Il a découvert le slam lors de la fête de la musique en balançant ses premiers textes et y a pris goût. « J’ai composé pour l’occasion la musique qui accompagne le texte de Thierno sur son “ frérot ” qu’il a perdu pendant la traversée et plus généralement de ceux qui meurent en passant », précise Jonas Muel.

L’autre composition spécialement écrite pour le projet et pour laquelle les neufs musiciens de Jazz à Tours se donnent à fond, c’est la clôture de ces trente minutes de spectacle. Un zouk qui fait taper du pied, sur lequel les slameurs se transforment en danseurs. Libérés. Avec l’envie de continuer à écrire des chansons et de parler encore mieux le français pour faire tomber les barrières.

> Deux restitutions auront lieu en premières parties du groupe Ultra Light Blazer : Mercredi 14 novembre, à 20 h, à Cangey, salle des fêtes. Vendredi 16 novembre à 20 h, en clôture du festival Émergences au Petit Faucheux. Tarifs : 8 € à 16 €.

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