L'abeille et le nabab

L’histoire que je m’en vais vous raconter pourrait être une fable de La Fontaine. Elle en a la morale et le tragique. Maître Kapur était fort bien loti. Régnant sur un empire que son père lui avait transmis, il pesait plus lourd en argent sonnant et trébuchant que la conscience de Judas sur la balance du Jugement dernier. Il roulait carrosse et une petite cour babillante et affable le suivait en tout lieu.

Un jour, il se rendit comme à son habitude à un tournoi de polo, au club que son ami le Prince William d’Angleterre côtoyait aussi. La journée était belle et chaude. À un moment de la rencontre, le gentil prince Kapur, qui n’était pas avare de ses exclamations, ouvrit grand la bouche face à quelque action d’éclat sur le champ.

Une abeille qui passait par là, crut y voir un coin d’ombre et s’engouffra dans la cavité ouverte. « J’ai avalé quelque chose », murmura le nabab étonné avant de s’effondrer d’un bloc. Aussi grand que l’on soit, la vie nous est toujours une bien petite chose et le plus modeste des vivants n’a pas moins de poids que nous n’en avons.

Matthieu Pays