Festival Mauvais Tours : la dose de folie, d'imaginaire et de cinéma en veux-tu en voilà

Publié le 21-10-2025 15:28:19 Modifié le 21-10-2025 15:28:19 Par Aurélien Germain

Dédié aux cinémas de l’imaginaire, le festival Mauvais Tours nous en a joué un bon : celui de faire encore mieux que sa première édition déjà exceptionnelle. On rembobine et on refait le film, en vous racontant (presque) tout de ces quatre jours déjantés.

La période de Mauvais Tours, c’est finalement un peu comme la saison de la raclette. Quel pied, quand on sait qu’elle est de retour ! Le festival dédié aux cinémas de l’imaginaire et aux films de genre était donc de la partie du 16 au 19 octobre, en déployant ses grands bras velus aux Studio, à l’espace Joséphine Baker et au Bateau ivre, pour une tripotée de courts et longs-métrages, de rencontres (la présence de Sieur Alexandra Aja siouplaît !), de masterclass et même de ciné-quiz et séances foldingues ou nanaresques (lire aussi en un clic ICI pour les retardataires).

Au final, 3 500 festivalier(e)s plongé(e)s dans une ambiance unique, toujours bienveillante et inclusive, et un succès pour cette deuxième édition de Mauvais Tours portée à bout de bras une équipe de bénévoles au top niveau et les deux têtes pensantes Simon Riaux et Nicolas Martin, perfusés à la bonne humeur.

Mini-Jean Dujardin contre les araignées

Zoupla, nous voilà jeudi 16 octobre au soir, ouverture du festival aux cinémas Studio. Pour démarrer les hostilités, Mauvais Tours a opté pour la projection de « L’Homme qui rétrécit », en présence de son réalisateur Jan Kounen (« 99 Francs » et « Dobermann », c’est lui). Nouvelle adaptation du roman culte de Richard Matheson, prévue à partir du 22 octobre en salles, « L’Homme qui rétrécit » est donc l’histoire de Paul, un homme tout à fait ordinaire qui, après un phénomène étrange inexpliqué, se met à rétrécir inexorablement… jusqu’à finir prisonnier dans sa propre cave.

Jan Kounen a eu la bonne idée de ramasser son film en 90 minutes à peine : on ne s’encombre pas de bavardage inutile, nous voilà rapidement dans l’ambiance. Le réalisateur explique avoir anglé son récit sur un homme plongé dans une réalité gigantesque plutôt qu’un homme devenant de plus en plus petit dans un environnement normal. Très immersif, le film fait tout vivre du point de vue de Jean Dujardin, ici personnage principal réduit à un petit monsieur de quelques centimètres de haut.

« L’Homme qui rétrécit » est un melting pot, il mixe tout : conte initiatique, film d’horreur (les attaques de l’araignée) mâtiné d’heroic fantasy, drame familial et réflexion métaphysique. S’il n’était pas facile de s’attaquer à ce roman culte (et son adaptation de Jack Arnold tout aussi mythique), Kounen s’en tire bien, tout comme Dujardin dans un rôle pas franchement facile. Et même si elle est plombée par une voix off permanente un brin agaçante, cette mise à jour contemporaine de « L’homme qui rétrécit » coche toutes les cases : spectacle, poésie et divertissement.

The Neon People : On appelle ça une claque…

Le lendemain, c’est un sacré morceau qui nous attend. En débarquant dans la salle des Studio à 14 h pour voir « The Neon People », on ne pense pas à la déflagration qu’on va se prendre. Et pourtant…

« The Neon People », c’est quoi ? C’est un documentaire qui nous plonge dans la vraie histoire de ce qu’on pensait légende urbaine : sous le strip de Las Vegas, vivent des milliers de SDF dans les tunnels qui ont été construits sous la ville pour évacuer les eaux pluviales.

Filmé avec des tons « carpenteriens », « The Neon People » est une gigantesque baffe, quelque chose à mettre entre toutes les mains ou plutôt devant tous les yeux. La caméra taiseuse suit plusieurs de ces personnes sans-abri, dans leur quotidien, montre leurs difficultés, leurs doutes, leur – parfois — maigres joies. Tous et toutes ont des vies cabossées, différentes, mais tous et toutes sont réuni(e)s dans ce même endroit qui ne voit que très peu la lumière du jour, ce réseau souterrain où vivent et survivent ces oublié(e)s, tandis qu’au-dessus de leurs têtes grouille la célèbre ville du péché qui refuse de les voir…

Certains plans montrent le terrible contraste entre cette communauté des tréfonds (« nous sommes les invisibles », dit l’une des protagonistes) remontant « à la surface », à l’air libre, et un Las Vegas qui ne dort jamais, éclairé par des milliers de lumières, oasis incongru de dollars et de casinos planté en plein désert du Nevada.

Au bout de deux heures, « The Neon People » se finit alors sur un ultime plan, nous serrant la gorge et nous tirant la larme. Foutue poussière dans l’œil… Ce qui se passe à Vegas reste à Vegas, comme on dit. « The Neon People », lui, devrait être vu et connu de tous.

(« The Neon People » a obtenu à la fin du festival le Prix du public et le Grand Prix Mauvais Tours)

Coucou l’onde sonore : tu veux être mon amie ?

« Kyma » de Romain Daudet-Jahan avait clairement tout du projet casse-gueule sur le papier. Le pitch ? Un ado voit sa vie bouleversée lorsqu’il rencontre une onde sonore invisible et mystérieuse, avec qui il se lie d’amitié. Outch. Pourtant, ce film à petit budget s’avère être une belle réussite et, surtout (avouons-le mauvaises langues que nous sommes), une étonnante surprise.

Convoquant les productions Amblin des années 80, porté par un air de cinéma spielbergien, « Kyma » propulsent trois jeunes ados ordinaires dans une aventure extraordinaire. Le surnaturel est là, joliment amené, on sent évidemment le manque de gros sous-sous derrière tout ça et il y a des petits défauts bien sûr, mais Daudet-Jahan arrive à faire avec et s’en tire tout de même avec les honneurs.

Le réalisateur et la scénariste de « Kyma » étaient présents pour la présentation du film.

Il y a du rire (l’excellentissime Lucie Loste-Berset), du fantastique, de l’émotion, de la nostalgie (nos petits cœurs tout mous ont eu cette impression du kif à la « Goonies »). « Kyma » prouve que oui, on peut tout de même filmer un film d’infraterrestre en pleine cambrousse française et que oui, ça marche.

Good Boy : le ouaf ouaf movie pas mordant

Précédé de sa réputation (le film a été diffusé dans les cinémas français… mais seulement sur 2 jours, pour un buzz assuré), « Good Boy » est-il la surprise espérée ou un pétard mouillé ? Le concept a tout pour être dingue : « Good Boy » est en effet un film d’horreur vu et filmé du point de vue d’un chien qui voit son maître adoré « attaqué » par une entité mystérieuse. Un ovni cinématographique, ah ça oui… Mais qui, finalement, n’a absolument pas la capacité de tenir sur sa (pourtant maigre) longueur (1 h 12 au compteur), en raison d’un argument bien trop faiblard et d’un récit où, finalement, il ne se passe pas grand-chose à part quelques jumpscares prévisibles et un toutou qui se balade dans une maison, en écoutant des bruits et en fixant les murs.

Les moments de frousse sont très rares (voire quasi inexistants à notre humble avis) et l’étiquette de film d’horreur ou terrifiant bien survendue. Atrocement répétitif, parfois à la limite du compréhensible, « Good Boy » est au mieux une expérience sensitive correcte et originale, mais d’une telle platitude qu’il s’apparente surtout à une bien belle arnaque, un moment aussi excitant qu’un épisode de Derrick sous Lexomil. (mais qu’on se rassure, le chien est mignon. Ouf) Bref « Good Boy » remue la queue mais bande mou.

La preuve ultime qu’un trailer bien fait (c’est le cas ici) peut aussi être terriblement trompeur sur la marchandise. Le film a toutefois obtenu le Prix du jury jeune à Mauvais Tours, prouvant peut-être qu’à tmv, on est peut-être tout simplement vieux et aigri.

Le samedi, c’est hérésie

Samedi. Troisième jour. C’est re-reparti pour un tour ! Ce 18 octobre, la compétition chope les festivalier(e)s (même pas fatigués) à la gorge d’entrée de jeu avec « Hérésie ». Et pas de doute, après visionnage, on peut affirmer que David Koenigs sera un réalisateur à suivre de très près. Dans ce « Witte Wieven » (son titre original. Dans les légendes néerlandaises bas-saxonnes, les Witte Wieven sont les esprits des « femmes sages ») ramassé en une heure à peine, le cinéaste dit tout, file droit au but : pas l’temps d’niaiser, ça balance un conte horrifique fissa, sorte de « The Witch » qui aurait pris une petite dose de LSD à mi-parcours.

Cette plongée au Moyen Âge suit Frieda, une jeune femme, appartenant à une communauté très pieuse, qui ne parvient pas à tomber enceinte. Lorsqu’elle se fait violer dans une forêt interdite car dite hantée, tout son entourage croit alors qu’elle a pactisé avec le Diable.

Film de folk horror mystique et féministe, ultra bien filmé, « Hérésie » est bourré de symbolisme (on n’en dira pas trop pour ne pas faire de spoiler…) et souligne l’émancipation féminine et l’affirmation de soi avec beaucoup de grâce et de justesse.

Aaaah, l’amour…

Au cours d’un dîner romantique, un homme voit sa chair tomber brutalement. Plutôt gênant ? Boh, pas tant que ça, puisque madame demande l’addition et voilà que les deux tourtereaux s’en vont et… la vie continue, malgré un corps qui continue de partir en lambeaux. Cette vie qui continue, on la suit durant les 13 minutes de « The Lovers », court-métrage suédois, délicieux petit bonbon noir, tout de même doté d’une dose d’humour délicat avec un couple en décomposition. Réalisé en stopmotion (image par image), « The Lovers » est une pépite en or massif et peut se découvrir sur la plateforme Shadowz !

Marionnettes, stopmotion et bon gros cauchemar

Et bim, en voilà une transition parfaite. Car juste après le court en stopmotion « The Lovers », c’est le film « Stopmotion » de Robert Morgan qui nous a enfin été présentés (prévu pour la première édition, il avait sauté au dernier moment). Difficile d’en dire trop sur le sujet pour ne pas gâcher le plaisir (on est sympa, on évite les spoilers), mais sachez, lectrices et lecteurs adorés, que « Stopmotion », c’est l’histoire d’Ella, animatrice en stopmotion donc, qui a du mal à trouver l’inspiration après avoir vécu dans l’ombre de sa mère – star dans le domaine – et qui va finir par trouver l’idée de son film de manière inattendue et… perdre pied.

Le film de Robert Morgan offre de superbes séquences filmiques classiques et y intègre des passages en stopmotion incroyables (le mélange est habile et réussi), genre auquel il rend magnifiquement hommage.

Mais qu’on ne se trompe pas : ici, rien de mignon, ni de trognon. Glauque, « Stopmotion » l’est à 200 %. Les autres adjectifs ne manquent pas : original, radical, audacieux, sombre, taré, putride, intrigant, psychologique. Un conte macabre sous forme de spirale infernale, dérangé et dérangeant. Une tuerie dans tous les sens du terme, un film d’horreur qui sort enfin des sentiers battus.

Un dimanche pas très catholique

Dans la vie, il y a parfois des choses étonnantes. La première, c’est qu’on ait réussi à se réveiller en ce dimanche matin. La seconde, est que notre démarche zombiesque nous ait conduit aux Studio dès midi pour la dernière journée de festival. Et la troisième est que la salle affiche quasi complet pour la première projection du jour, avec « Que ma volonté soit faite », plutôt que de filer à la messe. De quoi filer à Julia Kowalski, la réalisatrice présente pour la séance, un immense sourire dont elle ne se départira pas une seule seconde lors du questions-réponses passionnant autour de son œuvre et son travail.

Dans « Que ma volonté soit faite », une jeune femme agricultrice, Nawojka, cache un secret, celui de crises de démence qui s’éveillent lorsque du désir se fait sentir. Et l’arrivée d’une femme libre et rebelle ne va pas arranger les choses… Tourné à la pellicule, « Que ma volonté soit faite » nous plonge dans la boue d’une campagne française terne et grise, dans cette ferme tenue par une famille polonaise aussi bourrue que touchante (le père et la fille, exceptionnels de justesse). Autour, des vaches meurent et recrachent un liquide blanc étrange et visqueux. Puis le film s’enfonce dans la noirceur et l’étrange (quitte à nous perdre parfois), tandis que la cinéaste Kowalski offre un point de vue singulier sur la féminité et la femme à l’épreuve des hommes, le tout enveloppé dans une atmosphère poisseuse magnifiquement mise en image.

Un film déstabilisant, certes, mais qui a le mérite de marquer la rétine et les esprits. Une pelloche à retrouver en salles le 3 décembre prochain !

Qu’ils sont taquins, ces organisateurs de Mauvais Tours ! Car après « Que ma volonté soit faite », quoi de mieux que « Que ton règne vienne » ? L’enchaînement était tout trouvé et c’est donc ce docu signé Mathias Averty qui a clôturé le festival, après la remise des prix (à retrouver en fin d’article, suspeeeeense). Le pitch ? Pour combattre l’angoisse de la mort qui le hante, un jeune artiste décide d’explorer la part d’ombre en lui et se dirige vers le satanisme.
Le concept de docu-fiction est un poil casse-gueule, mais « Que ton règne vienne » s’en tire plutôt bien, surtout… dans sa partie docu qui aborde avec honnêteté et sans clichés l’histoire du satanisme en France. Ici, pas de stéréotypes stupides, on est davantage sur le côté historique et sociologique sur la figure de Satan et ses représentations, aux côtés de spécialistes (l’enseignant-chercheur Mathieu Colin par exemple) avant de bifurquer dans le concret, en accompagnant des satanistes français, membres de l’ASMG (l’Alliance mystique de Satan glorifié, fondée en 2018 à Marseille).

La parole est libre, la caméra laisse ces adeptes parler, philosopher, s’expliquer. Même si certains passages nous ont fait tiquer (l’attitude d’un interviewé, quasi copiée-collée de celle, culte, du musicien Gaahl dans Metal : A Headbanger’s journey), on finit par plonger dans cette marmite bien bouillante (la longue séquence sur la messe noire dans une grotte) et comprendre, comme le dit l’un des protagonistes, qu’il y a « autant de satanistes que de satanismes ». Un documentaire pensé aussi bien pour les initiés que les curieux.

De quoi achever une deuxième édition de Mauvais Tours comme il se doit. Et en ce dimanche de clôture, il semblerait que nos prières aient été entendues : les organisateurs ont déjà annoncé que le festival reviendrait… en 2026 !

Texte : Aurélien Germain
Photo ouverture : Alain Bregeon


Palmarès

Prix du court-métrage : Mort d’un acteur, d’Ambroise Rateau

Prix du jury jeunes : Good Boy, de Ben Leonberg

Prix du public : The Neon People, de Jean-Baptiste Thoret

Grand Prix Mauvais Tours (jury pro) : The Neon People

Prix Sorcière Mauvais Tours (jury pro pour le film le plus innovant et audacieux) : Planètes, de Momoko Seto

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